La stigmergie et son utilité en entreprise

Quand on parle de collaboration, on pense à celle basée sur la coopération ou celle basé sur la compétition.
Or, ces deux systèmes d'organisation montrent leurs limites, notamment en matière de gaspillage de ressources.

Entre les deux a émergé il y a une dizaine d'années un nouveau modèle de gouvernance : la stigmergie.
Comment la définir et comment mettre en place ce concept de collaboration alternatif dans une entreprise, et principalement dans un grand groupe, où il se révèle le plus efficace ?

Qu'est-ce que la stigmergie ?

Avant de définir la stigmergie, rappelons brièvement en quoi consistent des systèmes collaboratifs basés sur la coopération ou la compétition.

Méthode de coopération collaborative

Le travail d'équipe en coopération s'avère efficace dans les petits groupes d'individus (maximum huit participants). Ainsi, profiter de l'intelligence collective permet de faire montre d'innovation, à une condition : lorsqu'un membre du groupe se révèle plus expert que les autres sur un sujet donné, il est important de lui faire confiance et de le laisser s'exprimer sur ledit sujet.

En effet, la recherche permanente de consensus montre rapidement ses limites : le groupe dépense beaucoup d'énergie, de temps et de ressources pour aboutir à une cote mal taillée pas forcément pertinente. La réflexion et la communication y sont exacerbées au détriment de l'action.

Ce type de collaboration devient donc contreproductif lorsque le groupe dépasse la dizaine voire la vingtaine de collaborateurs, ce cas de figure se rencontrant fréquemment dans les grandes organisations. Le rapport ressources/productivité est défavorable dans un processus de coopération par consensus.

Sur le plan hiérarchique, ce modèle de collaboration implique que le groupe prend le contrôle sur chacun de ses membres.

Fonctionnement par compétition

Au contraire, l'esprit concurrentiel, s'il permet de privilégier les actions plutôt que la réflexion sans fin à la recherche d'un consensus, ouvre également la porte au gaspillage d'idées.

En effet, chaque individu ou groupe aura tendance à développer son propre projet, et à le garder jalousement secret pour éviter qu'il soit copié, sachant qu'un seul risque d'être retenu finalement. Cela crée des situations de frustration qui peuvent conduire à de la démotivation.

Par conséquent, un fonctionnement sur la base de la compétition fait perdre du temps et de l'argent aux entreprises qui ont mis en place ce type de gouvernance. Le rapport ressources/productivité est également défavorable dans un processus de compétition.

Si on se réfère aux responsabilités au sein de l'entreprise, la compétition correspond à un modèle hiérarchique pyramidal, dans lequel un individu contrôle le groupe.

L'innovation stigmergique

En revanche, dans le modèle stigmergique, plusieurs groupes d'individus partent d'une même idée et s'emploient à développer leur propre projet en lien avec cette idée. L'objectif ici est de stimuler l'imagination afin de proposer plusieurs solutions susceptibles d'être acceptées par les usagers.

Le principe sous-jacent de ce modèle de gouvernance, c'est que l'intelligence de chaque groupe va aboutir à différents concepts répondant à une même idée et ainsi répondre à des attentes différentes de la part des utilisateurs.

Dès lors, chaque groupe ou individu conserve la maîtrise du développement de son projet, et toutes les personnes impliquées sont motivées par un effet d'émulation propre à la collaboration en stigmergie. L'objectif est de favoriser l'action, celle-ci devant stimuler l'action suivante par itérations successives.

Par conséquent, c'est le système ou la société qui décide de l'intérêt d'un projet, et non une seule personne ou un seul groupe. Cela évite ainsi les conflits entre les individus au sein d'un groupe ou d'une organisation.

La stigmergie appliquée aux organisations

Inspirée par l'organisation sociale de certains insectes tels que les fourmis, la stigmergie est un mode de gouvernance collaborative qui repose pleinement sur l'intelligence collective. Concrètement, comment mettre en place un système de collaboration par stigmergie dans son entreprise ? Bien que le concept soit encore nouveau et pas encore parfaitement compris, plusieurs pistes se dégagent de différents exemples à succès, notamment dans les entreprises du numérique. Plusieurs étapes sont nécessaires.

Étape 1 : ne pas cacher les actions réalisées

Chaque collaborateur ne travaille pas dans son coin. Au sein d'un groupe, tout le monde œuvre ensemble autour d'une même idée, et la validation ou le rejet du projet sont décidés par les usagers et non par l'organisation.

En cas de rejet par les utilisateurs, l'important est d'améliorer le produit proposé, et pour cela, il est primordial de conserver des traces du travail accompli jusque-là. Ce sont ces traces qui servent de base au développement du projet.

En cas d'acceptation, l'environnement pouvant évoluer par la suite, il est crucial là aussi de garder des traces de ce qui a été effectué afin de rechercher continuellement une réponse pertinente au système modifié.

L'intérêt de ne pas garder ses actions secrètes, c'est que l'évolution du projet peut être prise en charge par un autre individu ou par un autre groupe, sans perte d'information.

Étape 2 : favoriser l'accès à l'information

Dans la continuité de la précédente étape, ne pas cacher l'information est important, mais la rendre accessible l'est encore plus. C'est le principe des open data, qui fleurissent sur Internet. Les logiciels ouverts ne cachent pas leurs lignes de code.

De cette manière, les usagers sont en mesure de mettre leurs propres idées à profit, toujours dans un objectif de développement du projet en faveur de la société. C'est un peu le fondement de la stigmergie : une collaboration élargie entre l'entreprise porteuse du projet initial et les utilisateurs de ses produits.

En résumé, les brevets sont généralement un frein à l'innovation, comme l'ont montré nombre de startups du monde numérique qui ont adopté le principe de l'open source.

Attention : il faut toutefois savoir mettre des barrières stratégiques, pour éviter toute dérive indésirable. En d'autres termes, il convient de favoriser l'innovation et le développement sans pour autant tout accepter. Par exemple, il ne faut pas confondre les données ouvertes avec les données libres, ces dernières n'étant pas souhaitables.

Étape 3 : contrôler le projet en aval

Le meilleur moyen de pallier tout risque de déviance d'un système est d'instaurer un mécanisme de validation a posteriori. Concrètement, si l'idée originale est fournie et que le développement de projets cohérents avec cette idée relativement libre est incité par le modèle de la stigmergie, il est nécessaire de garder un contrôle a posteriori.

Dès lors, chaque collaborateur ou groupe de collaborateurs doit soumettre son projet à un processus de validation avant de le proposer aux usagers. Une entreprise peut cependant faire l'impasse sur cette étape si elle ne la juge pas nécessaire. Tout dépend ici de son objectif, des enjeux et du système dans lequel elle évolue.

Étape 4 : favoriser les grands groupes de travail

Si la collaboration par coopération fonctionne dans de petits groupes d'individus, la stigmergie est nettement préférable dans un grand groupe de travail. Mieux que ça, plus le nombre de collaborateurs est important, plus des idées intéressantes peuvent émerger. Et en ouvrant la possibilité d'innovation en externe grâce à des données ouvertes, le nombre d'idées est démultiplié.

Conséquence directe : parmi toutes ces idées, la probabilité d'aboutir à un projet qui sera adopté par les usagers et utile à la société est maximale. C'est donc tout l'intérêt de la méthode de collaboration stigmergique.

Étape 5 : laisser les collaborateurs travailler en autonomie

Dans la continuité de l'absence de hiérarchie, le groupe ou l'individu travaille en toute autonomie. Il n'y a personne dans l'organisation qui vient lui dire comment, quand, dans quel délai agir… Finalement, chacun a la responsabilité de l'avancement du projet, et cela favorise l'innovation et la motivation.

La mise en œuvre du projet va obéir à une logique : le meilleur dans une tâche donnée va l'accomplir, tandis qu'un autre collaborateur va se concentrer sur une tâche sur laquelle il est plus à l'aise. On parle d'auto-allocation des tâches. Personne ne se sent rejeté ni mis sous pression, personne n'est contraint de travailler sur un projet qu'il ne maîtrise pas, ce qui serait nocif pour la motivation.

Étape 6 : autoriser l'organisation en nœuds

La conséquence de l'autonomie et de l'auto-allocation des tâches est la création naturelle de nœuds dans un groupe. Il s'agit en quelque sorte de petits groupes au sein d'un groupe plus grand. Cela permet d'augmenter l'interaction et la communication. Les nœuds se créent par compétence, par affinité… dans le seul but d'accroître l'efficacité du groupe et du projet.

Ces nœuds peuvent finalement aboutir à une répartition des tâches dans l'intérêt d'un projet plus global. Et bien sûr, cette organisation en nœuds ne peut fonctionner qu'en respectant les étapes 1 et 2 précédentes , qui font la part belle à la communication.

Chaque nœud est donc en interaction avec les autres nœuds, afin de constituer un maillage naturel et efficace. Et par conséquent, si l'un des nœuds vient à se dissoudre ou à disparaître, il n'y a aucun impact sur le projet, car tout le monde est au courant du travail de celui-ci.

Conclusion

Si, au sein de votre entreprise, vous constatez que la coopération ou la compétition sont peu efficaces dans la mise en œuvre de projet en groupes de travail, vous pouvez étudier la mise en place d'une collaboration de type stigmergique. Toutefois, avant d'entamer une telle transformation dans vos processus créatifs, vérifiez que vous êtes en mesure de réunir les différents principes détaillés dans chacune des étapes précédentes. Du respect de ces principes dépendra la réussite de votre nouveau mode d'organisation.

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